Protéger les ruches contre les frelons asiatiques

Cela ne fait pratiquement plus de doute: les apiculteurs vont devoir s’adapter et apprendre à vivre avec la présence du frelon asiatique en Belgique. Tous les ruchers ne seront pas touchés de la même manière, cela dépend des régions. Si ce qui semble observé en France se révèle identique en Belgique, les ruches en régions urbaines par exemple risquent de subir le plus gros impact.

Dans mes ruches localisée dans le Brabant Wallon je les ai observés pour la première fois il y a 3 ans. Depuis, chaque année, leur présence et la pression qu’ils exercent sur les ruches s’intensifie.

Cela fait donc quelques années que je cherche des solutions pour défendre mes ruches et heureusement de nombreux apiculteurs ont déjà eu de très bonnes idées. Grâce à Internet elles sont partagées et se propagent rapidement. Certaines se révèlent très efficaces, d’autres moins. Quoiqu’il en soit, elles ont toutes des avantages et des défauts. Je vous propose un petit tour d’horizon de ce qui existe ainsi qu’un retour sur mon expérience modeste avec ces systèmes.

Le meilleur espoir, évidemment, serait que les abeilles de nos contrées apprennent à se défendre contre les frelons asiatiques, à l’image des abeilles Apis Cerana, élevées en Asie. Celles-ci pratiquent la « défense par hyperthermie » : Elles se précipitent sur les frelons, en groupe, pour former une boule autour de lui et font vibrer les muscles de leurs ailes pour amener le frelon à une température qui lui est fatale. On dit qu’elles les « emballent ».

Des abeilles asiatique (Apis Cerana), à Yokohama au Japon, emballent deux frelons pour les chauffer jusqu’à ce qu’ils en meurent. Photo de Takahashi.

Etat des lieux: La protection des ruches

Cet article de la Société Royale d’Apiculture de Wavre et Environs est un très bon résumé des méthodes existantes et imaginées pour défendre nos ruches contre le frelon asiatique.

Il présente deux grandes familles de méthodes: le piégeage sélectif, pour capturer les frelons asiatiques en évitant ou limitant les captures d’autres insectes et Le principe des « muselières », qui servent directement à limiter le stress de la prédation sur les colonies.

Enfin il parle de méthodes qui permettent de repérer les nids de frelons afin de les éradiquer. C’est évidemment l’idéal mais les nids de frelon asiatique sont très difficiles à repérer. C’est que ces frelons ont l’habitude de les construire très haut dans les arbres. La hauteur et le feuillage les protègent efficacement des regards. C’est souvent en automne, après la chute des feuilles que l’on découvre les nids. Mais il est alors trop tard pour agir: le nid est vide et les futures fondatrices ont déjà trouvé une planque pour passer l’hiver dans le but de fonder une nouvelle colonie au printemps.

J’ai bien entendu testé des pièges sélectifs et tenté de repérer les nids mais ce qui m’intéresse ici est la défense plus « directe » des ruches. De nombreuses informations sur les pièges sélectifs ont déjà été partagées sur Internet. La plupart des systèmes utilisent un cone dont le diamètre de passage est assez grand pour laisser passer un frelon asiatique mais trop étroit pour laisser passer un frelon européen. Des fentes plus petites sur les bords du cone ou à d’autres endroits du piège permettent aux insectes plus petits que le frelon asiatique de ressortir. Un appât est généralement placé: sucré (et alcoolisé pour éviter d’attirer les abeilles) au printemps et protéiné en automne. On peut également acheter des phéromones qui attirent les frelons. Ces pièges peuvent être achetés ou assez facilement construits si on respecte les dimensions précises permettant la sélection. Pour ceux qui disposent d’imprimantes 3D, divers modèles sont proposés gratuitement sur Internet. Parmi ceux-ci j’ai testé ce modèle qui se révèle efficace. (attention: il est préférable de le redresser avant l’impression…).

Parmi les méthodes qui concernent plutôt les apiculteurs et servent directement à défendre les ruches et dont parle l’article de la SRAWE, j’ai testé les muselières, les adaptateurs NORMA et la muselière-piège.

La muselière

Exemple d’une muselière éloignant le frelon asiatique de la planche de vol. Photo de Mr. A. Lavignotte.

Le principe de la muselière est simple. Le plus gros problème posé par les frelons aux colonies est le stress qu’ils induisent en restant proche ou se posant sur la planche de vol. Les abeilles s’amassent sur celle-ci en position de défense. La pression des frelons les empêchent de sortir pour butiner. La colonie perd des abeilles mais ne rentre plus non plus de nourriture: elle dépérit petit à petit. L’image qui me vient toujours à l’esprit est celle d’un véritable siège d’une cité médiévale.

La muselière est une construction qui évite que le frelon ne s’approche trop près de l’entrée de la ruche (20 cm de distance) ou ne se pose sur la planche d’ envol des abeilles. Le plus souvent un grillage est employé, aux mailles suffisamment larges pour laisser passer les abeilles mais pas les frelons. Les frelons étant assez craintifs, des mailles aussi large que du « grillage à poule » (3 cm) suffit déjà. Le frelon a du mal à passer en volant et ose moins s’approcher de l’entrée des ruches. De nombreuses variantes de ce concept existent. Selon mes observations, elles sont efficaces pour limiter le stress de la colonie mais gênent aussi les abeilles. Au plus le passage entre les mailles est étroit, au moins le frelon risque de s’introduire dans la muselière mais au plus cela gêne les abeilles. Avec un grillage de 1cm carré, par exemple, il y a très peu de chances qu’un frelon ne pénètre dans l’enceinte fortifiée mais les abeilles ont aussi du mal à passer. Elles ne peuvent le faire en volant, prennent appui sur le fil de fer du grillage et font parfois plusieurs « pirouettes » autour de celui-ci en tentant d’entrer ou sortir. Si bien que j’ai eu le sentiment de parfois faciliter la tâche des frelons…

Quoiqu’il en soit, la muselière reste la base de la défense des ruches contre la prédation du frelon asiatique. Elle est efficace et permet réellement de soulager la colonie. Elle ne prévient pas ou ne limite pas la prédation mais limite le stress des abeilles et les aide à continuer à butiner et se nourrir. De nombreuses variations de la muselière de base existent, construites en toutes sortes de matériaux.

Planche NORMA ou muselière à tube

De mes expériences je lui préfère tout de même le principe de l’adaptateur « NORMA », souvent appelé muselière à tube. J’ai construit une version extrêmement simplifiée de cette invention de l’apiculteur Norbert Mathieu. Une simple boite en bois qui entoure la planche de vol et deux morceaux de tuyau d’égouttage en PVC pour faire une sorte de cheminée coudée à 45° par laquelle les abeilles doivent passer.

C’est finalement une version de muselière qui apporte les mêmes avantages du point de vue du stress des abeilles J’ai par contre le sentiment que les abeilles s’y habituent plus vite qu’à d’autres types de muselières. Je n’ai que rarement vu un frelon oser s’aventurer à l’intérieur du tuyau coudé. Mais ce qui me plait particulièrement est que les frelons ont bien plus de mal à attraper une abeille devant la ruche. Le frelon en vol stationnaire, en position de chasse, met beaucoup plus de temps avant d’arriver à attraper une abeille. La prédation totale en est donc diminuée.

La raison en est simple: les abeilles prennent leur envol depuis la planche de vol et, de la sorte, ont une vitesse bien plus élevée au moment de sortir par l’embouchure du tuyau. Les abeilles qui rentrent chargées de leur butin, lourdes et un peu maladroites en vol, ont tendance à presque se laisser tomber dans le tuyau, elles entrent dans la « zone protégée » avec beaucoup plus de vélocité. A mes premiers essais je me suis dit qu’on pourrait aussi appeler ce système un « canon à abeilles », tant elles entrent et sortent vite.

Norbert Mathieu a fait évoluer son invention et emploie dorénavant un tuyau coudé placé sous la planche d’envol (cela permet de limiter la pénétration de l’eau de pluie) et translucide. Il semble que le frelon ose encore moins pénétrer dans le tuyau quand celui-ci est transparent. Dans une énième version, l’entièreté de la boite est transparente et le tuyau perd son coude… Cela rend le système encore plus simple à construire.

D’autres ont fait évoluer ce concept de muselière a tubes avec des muselières à 2 ou 3 tubes coudés selon des angles différents. Des tubes à 45° par lesquels les abeilles partent et un tube coudé à 90° qui facilite leur retour rapide.

La muselière-piège (ou piège à bec)

Une autre évolution de la muselière est la muselière-piège ou « piège à bec ». A l’origine, la muselière-piège a été inventée par ‘Fernando’, un apiculteur espagnol. Ensuite elle a été fortement promue et améliorée par Fred Soulat, un apiculteur français, sur sa chaine YouTube (Ici comment la construire).

Le principe est de coupler une muselière traditionnelle avec une bouteille-piège. C’est très efficace: les frelons qui osent s’aventurer à l’intérieur de l’enceinte de la muselière n’en trouvent plus le chemin de sortie et finissent prisonniers d’une bouteille. Les avantages de la muselière pour les abeilles est donc couplé à la capture des frelons les plus téméraires. Quand on sait qu’un frelon asiatique qui chasse près des ruches peut prélever de 20 à 50 abeilles par jour sur celles-ci, leur capture me parait donc utile.

D’autres pistes

J’ai vu d’autres idées sur Internet dont ne fait pas mention l’article de la SRAWE et que je n’ai pas (ou pas encore…) testées moi-même.

Comme j’aime jouer avec des micro-contrôleurs (arduinos, nodemcu …) dans des projets de robotique ou d’automatisation et que j’aime programmer j’ai pensé à un système utilisant l’analyse des images d’une caméra pour y détecter le frelon asiatique en entrainant un modèle d’intelligence artificielle et coupler ça à un laser. Je suis loin d’être le seul à y avoir pensé et on parle de cette idée à plusieurs endroits sur la toile.

En y réfléchissant plus loin, l’emploi d’un laser capable de tuer en une fraction de seconde un frelon est probablement dangereux. Je me suis imaginé remplacer le laser par un pistolet à eau. Peut être si il se fait arroser d’un jet avec une pression suffisante le frelon apprendra à ne plus s’approcher de la ruche.

Par ailleurs chaque ruche devrait probablement être équipée de son propre système: du matériel au total assez couteux, sensible aux conditions extérieures et nécessitant une alimentation électrique. Il doit y avoir plus simple ! 🙂

Dans la même veine un ingénieur français a imaginé employer le principe de la reconnaissance sur image du frelon en vol stationnaire devant les ruches pour faire tomber sur lui une sorte de soufflet sombre en textile. Le seul point de lumière, la seule sortie possible de cette nasse mène le frelon dans un piège transparent de type « bouteille » où il se retrouve prisonnier. L’idée me paraît intéressante, certainement moins dangereuse que l’emploi de lasers, mais garde les défauts intrinsèques à l’emploi du matériel électronique. J’ai le sentiment qu’il y ajoute des contraintes mécaniques puisqu’il faut pouvoir garantir que la nasse tombe toujours correctement mais aussi se relève pour laisser le passage aux abeilles une fois le frelon capturé.

La harpe électrique semble bien fonctionner aussi. L’idée de base est de tendre des fils électriques à 2 cm de distance sur un cadre maintenu entre les ruches. On utilise un système pour clôture électrique pour bétail. Les frelons tournoient souvent autour des ruches. Il est donc susceptible de passer entre les fils de la harpe. La distance de 2cm est juste bonne pour qu’il déclenche un arc électrique entre deux fils et soit électrocuté. Il tombe alors dans un bac rempli d’eau et s’y noie. Les abeilles, par contre, peuvent voler entre les fils sans déclencher cet arc électrique.

Enfin, plus récemment j’ai découvert la méthode imaginée par Pierre-Pol Vincke, un apiculteur voisin, qu’il partage sur sa page Facebook du « Rucher Contemplatif ». Il teste son idée de « tunnel antistress » et elle semble efficace également. Les bénéfices me semblent similaires au système d’une muselière à tubes mais l’idée est certainement plus simple à mettre en oeuvre et je compte bien la tester également.

Niveau de pression et protection

Pour terminer cet article, j’observe devant mes ruches des niveaux de pression variables de la part des frelons asiatiques. La plupart des défenses présentées ici gênant malgré tout les abeilles, je me pose la question de voir à partir de quel niveau de pression il est utile de protéger ses ruches. Je pense que si l’on observe un frelon toutes les heures ou toutes les deux heures en position de chasse devant une ruche, le risque pour la colonie est très faible et les mesures de protection sont peut être contre-productives ? A côté de ça, au vu de ce qu’il peut se produire dans des ruchers en France je me dis que j’ai de la chance pour l’instant. mais encore une fois je constate que c’est pire d’année en année. Dans certains ruchers en France, la pression est telle que rien ne semble capable de protéger les ruches. L’unique défense qui reste alors à l’apiculteur est de déplacer celles-ci.

Le niveau de pression des frelons n’est pas toujours évident à déterminer… Comme d’autres apiculteurs j’observe que le frelon asiatique est plutôt méfiant et qu’il vient moins facilement quand je suis près de mes ruches, avec ma raquette de badminton ou mon filet à papillons. Je me suis d’ailleurs dit qu’un système d’épouvantail, avec un mannequin recouvert de ma tenue d’apiculture, pourrait aussi aider à limiter la prédation des frelons. Par ailleurs, j’ai plusieurs fois entendu des apiculteurs témoigner du fait qu’ils pensaient s’en être sortis des attaques de frelon dès mi-septembre pour être surpris de les voir reprendre de manière exponentielle au mois d’août. Je l’observe chez moi cette année et c’est clairement lié à la floraison du lierre. Le frelon asiatique adulte se nourrit de nectar, comme les abeilles, ou de fruits mûrs. C’est pour nourrir ses larves qu’il chasse d’autres insectes ou cherche de la viande. Comme les abeilles il est opportuniste. Au moment de la floraison du lierre il peut y trouver du nectar pour se nourrir mais aussi un terrain de chasse facile avec les abeilles et tous les autres insectes pollinisateurs qui viennent également profiter de cette source. Dès la fin de la floraison du lierre, il revient aux ruches.

Je pense toutefois qu’un signe critique est le moment ou l’on observe un attroupement d’abeilles en position de défense sur la planche de vol (formant typiquement un « V »). C’est vraiment un signe qui ne trompe pas: la pression du frelon devient trop importante pour la ruche. Si celles-ci visiblement n’osent plus partir butiner, il est urgent d’agir !

N’hésitez pas à partager dans les commentaires vos propres observations ou méthodes de lutte !

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